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  • Photo du rédacteurJean-Baptiste Chauvin

L'impro, combien ça coûte?


L'improvisation théâtrale est un art théâtral nouveau, et comme dans tout art, se pose un jour la question de l'argent. Nouveau en apparence, car on sait bien, que depuis les temps les plus anciens, elle a toujours fait partie de la pratique théâtrale. Art nouveau toutefois car depuis quelques décennies seulement, elle est devenue une pratique de scène spécifique, qui se développe de façon autonome. Par le développement du match d'improvisation d'un côté, par tous les mouvements issus de l'enseignement de Keith Johnstone de l'autre, l'improvisation théâtrale est de plus en plus présente sur scène en tant que spectacle revendiqué comme tel par ceux qui la pratique.

Comme dans tous les arts, se pose un jour le problème de la pérennité, de l'engagement, de l'investissement, de la recherche, du développement... En gros de la professionnalisation. Qu'est ce qu'un professionnel? Il existe sûrement une foule de définitions avec des variantes issues de l'économie, de la sociologie du travail, ou autre. J'en retiendrais une toute simple: le professionnel est celui qui vit pour, et par ce qu'il fait. Cette définition colle d'autant mieux à l'artiste, que l'artiste vit d'abord pour, que par son art. Un artiste développe son art avant d'en vivre. Mais comment vivre de son art?

On entre ici dans un champ assez vaste de questions. On pense à l'artiste maudit qui connait le succès après sa mort, au saltimbanque trainant sa roulotte, au poète incompris, mais on pense aussi aux millions amassés par les vedettes internationales, ou aux sommes délirantes adjugées chez Christie's pour des oeuvres signées par de grands noms. Quelle valeur donner à l'art? Cette question est bien compliquée, voire insoluble.

Mais revenons à l'improvisation. À ce jour, aucun improvisateur ne gagne des millions. Pour une raison évidente, c'est que notre art est éphémère, et n'est pas multipliable. Si Céline Dion gagne des millions, c'est d'abord parce que son travail artistique est multipliable en millions de disques. Mais l'improvisation théâtrale a une particularité: c'est un art extrêmement volatile. Il n'y a pas trace, si ce n'est une trace émotionnelle pour ceux qui étaient là. Cela donne à l'improvisation un caractère presque futile. Il n'y a rien de définitif. Tout disparait à peine créé. Shakespeare s'inscrit dans l'histoire parce que son texte est là, 400 ans plus tard, immuable. L'impro se conjugue au temps présent. Il n'y a rien avant, rien après. Ce qui est produit ne s'inscrit pas dans l'histoire.

Bien sûr il y a un spectacle, et le public se déplace, paie sa place, mais cette apparente futilité, qui fait abstraction du travail de l'improvisateur, pose de sérieuses questions quand il faut mettre un prix à notre art. Quand on monte un spectacle de théâtre, il y a un décor, des costumes, des heures de répétitions, une création musicale, une création lumière... Tout ça coûte cher. En impro, rien de tout cela, à priori. A priori, parce que l'improvisateur sait qu'il doit travailler. Mais comment justifier de faire payer au spectateur ce travail.

L'improvisateur qui souhaite se professionnaliser doit donc donner une valeur à ce qu'il produit. Si je monte sur scène pour improviser et que je demande plus cher que l'improvisateur amateur, il va falloir le justifier. Et là deux possibilités: soit je valorise mon travail, soit je dévalorise celui de l'amateur. Dévaloriser le travail de l'amateur c'est la tentation première. On l'a vu pratiquer bien des fois, notamment dans les débuts du développement du match d'improvisation, où les professionnels ont clairement tenté d'étouffer l'émergence des amateurs, à coup de droits d'auteurs prohibitifs ou d'adhésion obligatoire à des fédérations qui n'étaient autre que des organes de contrôle. D'autres ont tenté, le plus souvent vainement, de faire un travail de lobbying, pour dénigrer la médiocrité du travail des autres.

L'autre solution est de valoriser son travail, son art. Et là encore il y a plusieurs possibilités. On peut valoriser son savoir faire par l'originalité du concept: c'est le cas de certaines formes longues comme le Dîner, ou d'approches originales comme Slow, ou Impro-lightbox. On peut aussi valoriser un concept reconnu comme le fait la Ligue Majeure ou Paris Impro avec le match d'impro, en le modernisant, le magnifiant. Il y a aussi une autre possibilité, mais fort peu développée en impro, c'est de s'institutionnaliser. C'est à dire de pérenniser son travail par des partenariats publics par le biais de résidences d'artiste, de subventions de projets, etc. Mais on le sait, les institutions sont assez peu reconnaissantes envers l'impro, d'abord en raison cette latente futilité, et aussi par réaction élitaire envers une pratique par trop populaire.

Alors comment devenir autrement improvisateur professionnel ? Beaucoup tablent sur la diversification. Ce qui vient à l'esprit, c'est l'improvisation en entreprise. L'entreprise a depuis longtemps compris les atouts de l'improvisation et ce qu'elle avait de plus que le théâtre pour développer des compétences de savoir-être importantes dans le monde du travail. Vient ensuite l'éducation et l'enseignement qui offre à l'improvisateur la possibilité de vivre par les ateliers qu'il donne. D'autres mettent l'improvisation parmi d'autres activités artistiques et improvisent en parallèle d'une vie de comédien de théâtre ou de cinéma. D'autres aussi font le choix de la boulimie en privilégiant la multiplication des petits salaires pour subvenir à leurs besoins.

On le voit, l'impro n'a pas de modèle économique unique, et souffre encore d'une certaine jeunesse, d'un développement amateur exponentiel qui contraint le développement professionnel à s'adapter, et d'un manque de reconnaissance qui l'exclut des budgets classiques de la culture. En France nous avons le statut d'intermittent qui pallie un peu cela, mais au Québec ou en Belgique, nous voyons bien à quel point les improvisateurs doivent trouver d'autres alternatives.

Mais peut-être aussi devons nous accepter de faire un art pauvre, qui se joue de rien, qui ne laisse que très peu de place au vedettariat, ou amateurs et professionnels se côtoient sans toujours se distinguer. Peut-être devons nous accepter de ne pas être que improvisateur, mais aussi comédien de théâtre, formateur, ou coach en entreprise, ce qui aura des effets tout aussi bénéfiques sur notre jeu. Mais gardons nous de nous couper de ceux qui pratiquent gratuitement par passion, car avant toute chose, nous sommes tous des amateurs, car l'amateur fait parce qu'il aime faire.

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