Il y a quelques jours, avec mon comparse et ami Papy, nous sommes intervenus pour un atelier d'impro auprès de l'équipe enseignante du collège du Bois d'Aulne à Conflans-sainte-Honorine, collège où travaillait Samuel Paty.
Nous avons été sollicités par la principale pour apporter du lien, du liant, au sein d'un collectif d'enseignants fragmentés par le drame, les uns trouvant la résilience dans le travail, et les autres se calfeutrant dans un deuil impossible.
C'est donc la boule au ventre que nous avons franchi la porte de l'établissement, ne sachant pas trop ce qui nous attendait, et avec la crainte ne pas être à la hauteur.
L'impro ne peut pas tout, nous le savons, et nous avions pris garde de ne pas laisser croire que nous pouvions soulager la peine. Hors ce n'était pas pour amoindrir le drame qu'on nous avait appelés, mais bien pour ce que l'impro sait le mieux donner, c'est à dire du vivant. Et nous avions en face de nous des gens bien vivants, avec en première ligne une principale incroyable. Elle nous a raconté comment le drame s'est noué pendant dix jours, comment la menace rodait pour finalement frapper de la plus sordide des manières. Elle s'attendait à des violences sur Samuel Paty, et tentait de le protéger des invectives sur les réseaux sociaux, des attaques des parents. Ils ont portés plainte, ont été suivis par l'académie, mais comment prévoir l'inhumain quand on est investi à cent pour cent dans l'humain.
En face de nous, quinze enseignants et enseignantes surtout qui se sont lancés dans le jeu avec une énergie débordante, comme si l'exutoire prenait le pas sur l'appréhension de se livrer. Beaucoup de rires, des décrochages permanents troublant parfois notre concentration. Nous n'étions pas trop de deux pour gérer ce trop plein. Car bien sûr, il n'était pas question ici de faire de la discipline, ou même de rappeler à l'ordre.
Notre atelier n'a rien laissé paraitre au demeurant, et nous avons même pu jouer un enterrement, sans qu'aucune allusion vienne assombrir l'ambiance.
À la fin de ce moment si particulier, beaucoup sont venus faire un cercle autour de nous pour nous remercier et nous dire combien ce moment fut précieux. Nous n'avions que leurs yeux, puisque les masques étaient là pour troubler ce moment de reconnexion.
Car c'est bien de reconnexion qu'il s'agît. Et si l'impro ne peut pas tout, elle a cette capacité à nous reconnecter à notre humanité. Souvent, il n'y a pas de discours pour accompagner cela. Aucune théorie n'a besoin d'expliquer. Bien sûr, la situation si particulière de cet atelier nous donne le sentiment de lutter contre la terreur, mais dans d'autres cas, moins tragiques, l'inhumain peut aussi surgir et nous empêcher de vivre.
L'impro n'est pas un remède, c'est un antidote. En nous connectant à ce que nous avons de plus sensible en nous, elle ouvre notre perception au vivant, à ce qui vibre, ce qui bat, et dissout les toxiques les plus puissants: l'injustice, l'agressivité, la violence, l'horreur.
Nous qui avons tant d'appétit à faire de chaque impro un moment exceptionnel, il nous a fallu ici faire de la normalité un besoin vital. Car l'exceptionnel qui a surgit au collège du Bois d'Aulne, n'est pas humain. Et ce qui est normal, c'est l'humain.
L'impro ne sait donner autre chose que de l'humain. Peut-être devons nous garder à l'idée que nous célébrons chaque jour notre exceptionnelle normalité: la vie.
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