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  • Photo du rédacteurJean-Baptiste Chauvin

Eugène de Pradel: Improvisateur du XIX ème siècle


Connaissez vous Eugène de Pradel? Eugène de Pradel (1784-1857) était poète, écrivain et improvisateur de salon. Il vendait ses services et à la demande et venait improviser des tragédies dont les sujets étaient données par l'auditoire, ou des poèmes sur des rimes données par le public. Sa carte stipulait:

"Soirées particulières d’improvisation pour les salons de Paris, par le comte E. de Pradel (des ducs de Bouillon), seul improvisateur en vers français. Ces soirées, d’une remarquable distinction, sont aussi décentes que récréatives et font passer l’esprit d’étonnements en étonnements. Elles se composent des morceaux suivants : Monologues et scènes dramatiques. — Inscriptions sur des personnes célèbres. — Échos. - Accouplements de mots les plus bizarres, offrant le moins de rapports ensemble. — Rimes occultes. — Bouts rimés.— Monorimes, échelles poétiques, etc.

Une séance d’improvisation, pouvant se restreindre ou s’étendre au gré des maîtres de maison, dure ordinairement une heure, une heure trois quarts, ou deux heures un quart.

Petite soirée, soirée moyenne, soirée complète.

On traite à des prix modérés et directement avec M. de Pradel, de une heure à trois, rue Croix-des-Petits-Champs, 33. Il est bon de s ’inscrire quelques jours à l’avance."

Eugène de Pradel avait une renommée internationale et rivalisait avec des improvisateurs italiens et allemands. Lamartine et Pongerville étaient de ses fervents admirateurs.

"La réputation de l'improvisateur français est aujourd’hui européenne. Le premier, il a osé risquer dans notre langue ce que la langue italienne rend chose facile à ses improvisateurs. Cette entreprise hardie a été couronnée d'un immense succès. Théophile , Cyrano , Voltaire , Piron , Saint-Aulaire, Boufilers et beaucoup d'autres poètes ont fait des impromptus ; ils ne soupçonnaient pas la possibilité de l’improvisation?.. . Aussi les soirées publiques d’Eugène De Pradel ont-elles excité partout un vif enthousiasme. L'improvisateur a reçu, dans cent villes de France, de Suisse et de Belgique, l'accueil dû à son talent prodigieux. Banquets, fêtes, couronnes, médailles frappées en son nom, rien n’a manqué à ses triomphes. (...) Jamais les recettes des grands théâtres de Montpellier, Toulouse, Lille, Nantes, Rouen, Bordeaux, Marseille, ne se sont élevées à un chiffre plus haut qu'aux soirées d’Eugène De Pradel. Il a fallu, à Rouen, treize séances pour satisfaire la curiosité publique."

"À messieurs Eugène de Pradel et Luigi Cicconi.

Messieurs, la lutte d'improvisation que vous soutiendrez avec le rare talent dont vous avez donné tant de preuves, me paraît une solennité digne de fixer l'attention du public lettré. Le plus ardent amour de la poésie, la plus active puissance de l'imagination , pouvaient seuls vous inspirer le courage nécessaire à ce noble tournoi. Vous avez la bonté, Messieurs, de m'inviter à me ranger parmi les juges du camp, j'accepte cet honneur avec reconnaissance, et je me joindrai avec un vif empressement aux amis des lettres qui préparent déjà une double couronne pour les exploits de ce combat vraiment prodigieux.Agréez, Messieurs, etc."

De Pongerville, de l'Académie Française. Paris, le 7 mai 1836.

Et voici un témoignage de la Revue de deux Mondes décrivant ces soirées.

"Mr Eugène de Pradel improvise généralement vers sept heures du soir, rue Chantereine, n°19 bis. Il improvise des bouts rimés, des couplets et des chansons, plus des tragédies en vers français, si l’on veut, en trois ou cinq actes, comme on veut. Les bureaux ouvrent à six heures, ainsi qu’à tous les théâtres. Vous prenez un billet, puis avant d’entrer, vous mettez un sujet de tragédie dans un tronc sous le vestibule. (...) Il serait fort difficile que M. Eugène de Pradel improvisât en une séance toutes les tragédies dont le tronc contient les sujets. Il faut donc que l’un d’eux soit choisi et voté par les spectateurs à la majorité. Ce vote ne s’obtient point sans bruits et sans querelles. Chacun veut voir pousser sa tragédie. Mais, qu’on se batte et qu’on se déchire dans la salle, M. Eugène de Pradel s’en moque. Il ne se soucie pas plus du sujet de l’un que celui de l‘autre. Toute graine de tragédie lui est bonne. Il est sûr de son affaire. Il sait bien qu’il fera une tragédie, ni plus ni moins, une tragédie à l’ombre de laquelle s’endormiront, non-seulement celui qui l’aura semée, mais encore le reste de l’auditoire. La troisième soirée d’improvisation de M. Eugène de Pradel nous a donc valu la tragédie d’"Urbain Grandier". Dés qu’il fut irrévocablement arrêté que nous aurions "Urbain Grandier", M. Eugène de Pradel, qui est un fort bel homme, habillé de noir, comme il convient à un improvisateur, demanda cinq minutes pour se recueillir ; puis, les cinq minutes expirées, il reparut, les cheveux en désordre, l’œil hagard, sans cravate ; ce qui voulait dire que le démon de l’inspiration était en lui. De là, "Urbain Grandier", tragédie non pas en cinq actes, comme je le prétendais, mais en trois seulement, ainsi que me l’a juré sur la bible l’illustre prestidigitateur M. Comte, auprès duquel mon heureuse étoile m’avait ce soir là placé. Et vraiment, tout le temps que je veillais, mon plus grand divertissement fut d’observer M. Comte, et l’effet que produisait sur lui l’improvisation de M. Eugène de Pradel. C’était plaisir, pendant que l’improvisateur improvisait, de voir les mains intelligentes de M. Comte s’agiter, convulsivement impatientes, et en proie à une involontaire émulation. M. Comte disait alors assurément : C’est bien, mais il n’y a pas là merveille. M. Eugène de Pradel escamote des rimes et des pensées ; moi j’escamote de petits oiseaux, des demoiselles et des fleurs. Nous sommes des artistes de la même famille. Quoiqu’il en soit, et toute jalousie de confrère mise à part, M. Comte était évidemment fort satisfait des tours de mots de M. Eugène de Pradel."

Sources:

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